Recueil : Poésies diverses (1838-1845). Comme un ange gardien prenez-moi sous votre aile ; Tendez, en souriant et daignant vous pencher, À ma petite main votre main maternelle, Pour soutenir mes pas et me faire marcher !
Car Jésus le doux maître, aux célestes tendresses, Permettait aux enfants de s'approcher de lui ; Comme un père indulgent il souffrait leurs caresses, Et jouait avec eux sans témoigner d'ennui.
Ô vous qui ressemblez à ces tableaux d'église Où l'on voit, sur fond d'or, l'auguste Charité Préservant de la faim, préservant de la bise Un groupe frais et blond dans sa robe abrité ;
Comme le nourrisson de la Mère divine, Par pitié, laissez-moi monter sur vos genoux, Moi pauvre jeune fille, isolée, orpheline, Qui n'ai d'espoir qu'en Dieu, qui n'ai d'espoir qu'en vous ! Théophile Gautier.
Recueil : Premières poésies (1830). La rosée arrondie en perles Scintille aux pointes du gazon ; Les chardonnerets et les merles Chantent à l'envi leur chanson ;
Les fleurs de leurs paillettes blanches Brodent le bord vert du chemin ; Un vent léger courbe les branches Du chèvrefeuille et du jasmin ;
Et la lune, vaisseau d'agate, Sur les vagues des rochers bleus S'avance comme la frégate Au dos de l'Océan houleux.
Jamais la nuit de plus d'étoiles N'a semé son manteau d'azur, Ni, du doigt entr'ouvrant ses voiles, Mieux fait voir Dieu dans le ciel pur.
Prends mon bras, ô ma bien-aimée, Et nous irons, à deux, jouir De la solitude embaumée, Et, couchés sur la mousse, ouïr
Ce que tout bas, dans la ravine Où brillent ses moites réseaux, En babillant, l'eau qui chemine Conte à l'oreille des roseaux. Théophile Gautier.
Recueil : La comédie de la mort (1838). Connaissez-vous dans le parc de Versailles Une Naïade, œil vert et sein gonflé ? La belle habite un château de rocaille D'ordre toscan et tout vermiculé.
Sur les coraux et sur les madrépores Toute l'année elle dort dans les joncs ; Dans le bassin les grenouilles sonores Chantent en chœur et font mille plongeons.
La fête vient ; la coquette Naïade S'éveille en hâte et rajuste ses nœuds, Se peigne, et met ses habits de parade Et des roseaux plus frais dans ses cheveux.
Elle descend l'escalier, et sa queue En flots d'argent sur les marches la suit ; La raide étoffe à trame blanche et bleue À chaque pas derrière elle bruit. Théophile Gautier.
Au pays où se fait la guerre Mon bel ami s'en est allé ; Il semble à mon cœur désolé Qu'il ne reste que moi sur terre ! En partant, au baiser d'adieu, Il m'a pris mon âme à ma bouche. Qui le tient si longtemps, mon Dieu ? Voilà le soleil qui se couche, Et moi, toute seule en ma tour, J'attends encore son retour.
II
Les pigeons sur le toit roucoulent, Roucoulent amoureusement ; Avec un son triste et charmant Les eaux sous les grands saules coulent. Je me sens tout près de pleurer ; Mon cœur comme un lis plein s'épanche, Et je n'ose plus espérer. Voici briller la lune blanche, Et moi, toute seule en ma tour, J'attends encore son retour.
III
Quelqu'un monte à grands pas la rampe : Serait-ce lui, mon doux amant ? Ce n'est pas lui, mais seulement Mon petit page avec ma lampe. Vents du soir, volez, dites-lui Qu'il est ma pensée et mon rêve, Toute ma joie et mon ennui. Voici que l'aurore se lève, Et moi, toute seule en ma tour, J'attends encore son retour. Théophile Gautier