Recueil : La comédie de la mort (1838). Le jour tombait, une pâle nuée Du haut du ciel laissait nonchalamment, Dans l'eau du fleuve à peine remuée, Tremper les plis de son blanc vêtement.
La nuit parut, la nuit morne et sereine, Portant le deuil de son frère le jour, Et chaque étoile à son trône de reine, En habits d'or, s'en vint faire sa cour.
On entendait pleurer les tourterelles Et les enfants rêver dans leurs berceaux ; C'était dans l'air comme un frôlement d'ailes, Comme le bruit d'invisibles oiseaux.
Le ciel parlait à voix basse à la terre ; Comme au vieux temps, ils parlaient en hébreu, Et répétaient un acte du mystère ; Je n'y compris qu'un seul mot, c'était : Dieu. Théophile Gautier.
Recueil : La comédie de la mort (1838). Avril est de retour. La première des roses, De ses lèvres mi-closes, Rit au premier beau jour ; La terre bienheureuse S'ouvre et s'épanouit ; Tout aime, tout jouit. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse.
Les buveurs en gaîté, Dans leurs chansons vermeilles, Célèbrent sous les treilles Le vin et la beauté ; La musique joyeuse, Avec leur rire clair S'éparpille dans l'air. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse.
En déshabillés blancs, Les jeunes demoiselles S'en vont sous les tonnelles Au bras de leurs galants ; La lune langoureuse Argente leurs baisers Longuement appuyés. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse.
Moi, je n'aime plus rien, Ni l'homme, ni la femme, Ni mon corps, ni mon âme, Pas même mon vieux chien. Allez dire qu'on creuse, Sous le pâle gazon, Une fosse sans nom. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse. Théophile Gautier.
Recueil : Émaux et Camées (1852). Les mouettes volent et jouent ; Et les blancs coursiers de la mer, Cabrés sur les vagues, secouent Leurs crins échevelés dans l'air.
Le jour tombe ; une fine pluie Eteint les fournaises du soir, Et le steam-boat crachant la suie Rabat son long panache noir.
Plus pâle que le ciel livide Je vais au pays du charbon, Du brouillard et du suicide ; - Pour se tuer le temps est bon.
Mon désir avide se noie Dans le gouffre amer qui blanchit ; Le vaisseau danse, l'eau tournoie, Le vent de plus en plus fraîchit.
Oh ! je me sens l'âme navrée ; L'Océan gonfle, en soupirant, Sa poitrine désespérée, Comme un ami qui me comprend.
Allons, peines d'amour perdues, Espoirs lassés, illusions Du socle idéal descendues, Un saut dans les moites sillons !
A la mer, souffrances passées, Qui revenez toujours, pressant Vos blessures cicatrisées Pour leur faire pleurer du sang !
A la mer, spectre de mes rêves, Regrets aux mortelles pâleurs Dans un coeur rouge ayant sept glaives, Comme la mère des douleurs.
Chaque fantôme plonge et lutte Quelques instants avec le flot Qui sur lui ferme sa volute Et l'engloutit dans un sanglot.
Lest de l'âme, pesant bagage, Trésors misérables et chers, Sombrez, et dans votre naufrage Je vais vous suivre au fond des mers.
Bleuâtre, enflé, méconnaissable, Bercé par le flot qui bruit, Sur l'humide oreiller du sable Je dormirai bien cette nuit !
... Mais une femme dans sa mante Sur le pont assise à l'écart, Une femme jeune et charmante Lève vers moi son regard,
Dans ce regard, à ma détresse La Sympathie à bras ouverts Parle et sourit, soeur ou maîtresse, Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts !
Les mouettes voient et jouent ; Et les blancs coursiers de la mer, Cabrés sur les vagues, secouent Leurs crins échevelés dans l'air. Théophile Gautier.
C'était une âme neuve, une âme de créole, Toute de feu, cachant à ce monde frivole Ce qui fait le poète, un inquiet désir De gloire aventureuse et de profond loisir, Et capable d'aimer comme aimerait un ange, Ne trouvant en chemin que des âmes de fange ; Peu comprise, blessée au vif à tout moment, Mais n'osant pas s'en plaindre, et sans épanchement, Sans consolation, traversant cette vie ; Aux entraves du corps à regret asservie, Esquif infortuné que d'un baiser vermeil Dans sa course jamais n'a doré le soleil, Triste jouet du vent et des ondes ; au reste, Résignée à l'oubli, nécessité funeste D'une existence vague et manquée ; ici-bas Ne connaissant qu'amers et douloureux combats Dans un corps abattu sous le chagrin, et frêle Comme un épi courbé par la pluie ou la grêle ; Encore si la foi... l'espérance... mais non, Elle ne croyait pas, et Dieu n'était qu'un nom Pour cette âme ulcérée... Enfin au cimetière, Un soir d'automne sombre et grisâtre, une bière Fut apportée : un être à la terre manqua, Et cette absence, à peine un coeur la remarqua. Théophile Gautier.
Recueil : La comédie de la mort (1838). Versailles, tu n'es plus qu'un spectre de cité ; Comme Venise au fond de son Adriatique, Tu traînes lentement ton corps paralytique, Chancelant sous le poids de ton manteau sculpté.
Quel appauvrissement ! Quelle caducité ! Tu n'es que surannée et tu n'es pas antique, Et nulle herbe pieuse au long de ton portique Ne grimpe pour voiler ta pâle nudité.
Comme une délaissée, à l'écart, sous ton arbre, Sur ton sein douloureux croisant tes bras de marbre, Tu guettes le retour de ton royal amant.
Le rival du soleil dort sous son monument ; Les eaux de tes jardins à jamais se sont tues, Et tu n'auras bientôt qu'un peuple de statues. Théophile Gautier.
Recueil : La comédie de la mort (1838). Quand viendra la saison nouvelle, Quand auront disparu les froids, Tous les deux, nous irons, ma belle, Pour cueillir le muguet au bois ; Sous nos pieds égrenant les perles Que l'on voit au matin trembler, Nous irons écouter les merles Siffler.
Le printemps est venu, ma belle, C'est le mois des amants béni, Et l'oiseau, satinant son aile, Dit des vers au rebord du nid. Oh ! Viens donc sur le banc de mousse Pour parler de nos beaux amours, Et dis-moi de ta voix si douce : « Toujours ! »
Loin, bien loin, égarant nos courses, Faisons fuir le lapin caché Et le daim au miroir des sources Admirant son grand bois penché ; Puis chez nous tout joyeux, tout aises, En panier enlaçant nos doigts, Revenons rapportant des fraises Des bois. Théophile Gautier.